Stade 20 000 places: 400 millions engloutis, l'assemblée nationale enquête.
- Prince-Eric Ngaibino
- 4 juin
- 3 min de lecture

Le rêve d’un stade conforme aux standards internationaux à Bangui n’aura duré que le temps d’un effet d’annonce. Un an après le lancement d’un chantier de réhabilitation financé par l’État à hauteur de 400 millions FCFA, le Complexe Sportif Barthélemy Boganda reste hors-jeu pour les compétitions internationales. Résultat : les Fauves jouent toujours loin de leurs terres, et une commission parlementaire d’enquête vient d’être mise en place pour tirer les fils d’un chantier aux allures de fiasco politique et financier.
Avril 2024. Le ministre de la Jeunesse et des Sports, Héritier Doneng, annonce avec tambours et trompettes le début des travaux de réhabilitation du stade de Bangui. Le montant : 400 millions FCFA débloqués par le gouvernement. Objectif affiché : remettre à niveau une enceinte de 20 000 places pour accueillir les matchs officiels des Fauves de Bas Oubangui. Un pari ambitieux… qui tourne rapidement au désastre.
Sur le terrain, les « travaux » relèvent plus du maquillage que de la transformation. Une couche de peinture ici, quelques rangées de sièges là, des dalles mal posées, une pelouse rafistolée, et surtout aucun appel d’offre public. L’opération est menée à huis clos, sans contrôle technique indépendant, dans une opacité totale. Le tout sous la supervision personnelle d'un certain Héritier Doneng, ministre de la jeunesse et des sports.
En novembre 2024, une délégation de la Confédération Africaine de Football débarque à Bangui pour évaluer les installations. Le verdict est sans appel : refus d’homologation. Le stade ne respecte aucune des normes minimales exigées pour accueillir des matchs CAF : Système d’éclairage déficient; vestiaires sous-dimensionnés; aucune salle anti-dopage; pas de dispositif pour les médias; sécurité non conforme; pelouse dégradée.
Une humiliation pour le pays. Et une énigme : comment 400 millions ont-ils pu disparaître dans un chantier incapable d’atteindre ne serait-ce qu’un niveau régional ?
Face au tollé, l’Assemblée nationale réagit. Le 2 juin 2025, son président Simplice Mathieu Sarandji signe un arrêté mettant en place une commission parlementaire d’enquête sur les travaux du Complexe Boganda. La mission : enquêter sur l’utilisation réelle des fonds alloués et rendre un rapport sous 10 jours. À sa tête : Guy Samuel Nganatoua, avec une équipe composée de parlementaires chevronnés et d’un soutien administratif dirigé par Evariste Nguerekane.
Mais que peut réellement cette commission ? Aura-t-elle accès aux contrats, aux factures, aux entreprises prestataires ? Osera-t-elle convoquer le ministre Doneng ? Dans les coulisses, certains élus s’interrogent déjà sur les limites politiques de cet exercice.
Selon plusieurs sources proches du dossier, aucun audit sérieux n’a été mené depuis la fin des travaux. Un ancien cadre du ministère, aujourd’hui retraité, témoigne sous anonymat :
> « Même pour des toilettes publiques, ce budget aurait été insuffisant si on voulait faire du bon travail. Là, c’était un bricolage organisé pour dire qu’on a fait quelque chose. »
Les comparaisons font mal. Au Cameroun, le stade Annexe 1 de Japoma, homologué CAF, a coûté environ 800 millions FCFA pour une capacité équivalente. Au Niger, le stade Seyni Kountché a été rénové pour 3,2 milliards FCFA, cofinancés par l'État et la FIFA.
Le cas du stade Barthélemy Boganda révèle un problème plus profond : l’incapacité chronique à gérer les projets d’infrastructure publique. Selon la CAF, 22 pays africains ne disposent pas de stade aux normes. Mais en Centrafrique, l'échec prend une dimension symbolique. Car au-delà du sport, c’est toute une jeunesse qu’on empêche de rêver.
Les Fauves continueront donc à jouer leurs matchs à l’étranger, aux frais du contribuable. Et les supporters centrafricains resteront spectateurs… depuis leur salon.
Le rapport de la commission parlementaire pourrait jeter une lumière crue sur ce dossier. Mais si l’histoire du stade Boganda doit nous apprendre quelque chose, c’est qu’en Centrafrique, les responsabilités se noient souvent dans les tribunes vides.
Au-delà de tout, le front semble réellement ouvert entre l'assemblée nationale et le ministre Doneng. Fin mai, ce dernier avait boycotté uune interpellation du parlementqui a son tour a réclamé du premier ministre le limogeage du ministre.
Dans les coulisses : ce dossier que les parlementaires ont exhumé est une ancienne recommandation de l'année dernière. Mais comme le front est clairement ouvert, toutes les armes sont bonnes pour venir à bout du protégé du chef de l'État.
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