Déby–Bozizé : La rencontre qui dérange Bangui
- Prince-Eric Ngaibino
- 30 mai
- 2 min de lecture

La récente audience accordée par le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno à François Bozizé, ancien chef d’État centrafricain en exil, continue de provoquer une onde de choc à Bangui. Si N'Djamena évoque un « effort de paix sous-régionale », nombre d’observateurs et d’acteurs politiques centrafricains y voient plutôt une manœuvre ambiguë, voire une provocation diplomatique. Analyse.
À première vue, l’entrevue entre Bozizé et Déby Itno, tenue en marge d’une visite d’État en Guinée-Bissau, s’inscrit dans une logique de stabilisation régionale. Selon le communiqué officiel tchadien, il s’agit d’une initiative concertée avec Bangui pour promouvoir la paix en République centrafricaine (RCA).
Mais cette version officielle semble peiner à convaincre, d’autant plus qu’aucune réaction n’a été enregistrée de la part de la présidence centrafricaine. Le silence de Bangui, lourd de signification, contraste avec la virulence des critiques exprimées dans les milieux proches du pouvoir.
L’ancien Premier ministre centrafricain Firmin Ngrebada a été l’un des premiers à monter au créneau. Dans une déclaration au ton ferme, il dénonce une tentative de réhabilitation d’un homme poursuivi par la justice centrafricaine pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et tentative de coup d’État.
« La paix, oui. Mais pas à n’importe quel prix », martèle Ngrebada, pour qui cette rencontre accorde une légitimité politique à un ancien chef d’État qui n’a jamais reconnu la légitimité des institutions actuelles. Il interpelle ainsi la diplomatie tchadienne sur les risques d’instrumentalisation de la paix à des fins politiques.
La rencontre Déby–Bozizé soulève aussi une question lancinante : celle de la justice à géométrie variable en République centrafricaine. Tandis que les poursuites contre les chefs rebelles centrafricains se multiplient, certains chefs de guerre d’origine étrangère, parfois lourdement impliqués dans les violences, se retrouvent paradoxalement intégrés au gouvernement. Une contradiction qui alimente un sentiment d’injustice et affaiblit la crédibilité des efforts de réconciliation.
C’est notamment le cas d’Hassan Bouba, ancien chef rebelle de l'UPC, soupçonné de graves violations des droits humains, aujourd’hui ministre de l’Élevage au sein du gouvernement. Ou encore d’Ali Darass, leader de l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC), qui vient de signer un nouvel accord de paix avec les autorités, sans être inquiété par la justice. Ces choix politiques interrogent : pourquoi certains ex-chefs de guerre étrangers sont-ils récompensés pendant que d'autres, comme Bozizé, ou récemment Armel Sayo, restent-ils persona non grata ?
Ce paradoxe est d’autant plus criant que Bozizé, bien qu’exilé, est la cible d’un mandat d’arrêt international, tandis que des figures étrangères de la rébellion se voient offrir des postes ministériels, sans qu’aucune enquête judiciaire ne soit menée à leur encontre.
À Bangui, le mutisme de la présidence centrafricaine face à cette rencontre est révélateur d’un malaise. Faut-il y voir une prudence diplomatique, une volonté d’éviter l’escalade, ou un désaccord profond entre les deux capitales ? Pendant ce temps, la société civile et certains responsables politiques, ulcérés, dénoncent un double jeu régional qui sape les fondements d’un processus de paix déjà fragile.
Dans un contexte régional marqué par des conflits persistants, des alliances mouvantes et une méfiance historique entre États voisins, toute lecture hâtive des gestes politiques serait périlleuse. Avant de trancher entre manœuvre diplomatique ou provocation, il importe d’examiner les dynamiques profondes à l’œuvre, avec lucidité, rigueur et sens des responsabilités.
Notons aussi que l’ancien chef de guerre, actuel ministre est jusqu’au poursuivit par la Cours Pénale Spéciale, arrêté il y’a quelques temps dans le passé mais libéré puis protégé par le pouvoir de Bangui